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Cameroun: comment Paul Biya a désamorcé la bombe Waner

Le chef de l’Etat camerounais Paul Biya a reçu le 29 avril 2023 au palais de l’Unité à Yaoundé, son homologue centrafricain Faustin Archange Touadéra qui effectuait ainsi sa première sortie officielle après son élection le 17 mars 2023 à la présidence tournante de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC). Aucune déclaration officielle n’a été faite au terme de cette visite de quelques heures. Fait plutôt rarissime dans la sous-région, généralement friand d’hyperbole en pareilles circonstances.

Selon nos informations, plusieurs sujets ont été évoqués y compris des dossiers « chauds » concernant la sous-région. Sur le plan bilatéral, en dépit des problèmes économiques qui ont amené le Cameroun à apporter récemment un appui budgétaire à la Centrafrique permettant notamment de payer les fonctionnaires et les agents de l’Etat, les discussions entre les deux chefs d’Etat ont été dominés par des enjeux sécuritaires avec en bonne place l’activité des bandes armées qui sévissent à l’Ouest de la Centrafrique jusqu’aux frontières camerounaises. Dans ce sillage, Bangui sollicite l’appui de Yaoundé non seulement pour renforcer la surveillance territoriale, mais aussi et surtout, le renseignement prévisionnel. Un dispositif qui a permis jusque-là indique-t-on de démanteler plusieurs mouvements rebelles dont des éléments ont tenté en vain de traverser la frontière afin de constituer des bases arrières au Cameroun.

Pour éviter toute friction avec la France en particulier et le monde occidental en général, Paul Biya qui a pesé de tout son poids pour que Touadéra accède à la présidence de la CEMAC ne serait pas favorable pour une « coopération entre l’armée camerounaise et le groupe paramilitaire russe Wagner » comme l’aurait sollicité son homologue centrafricain. Faut-il le préciser, à cause du rapprochement entre la Centrafrique et la Russie dont Wagner constitue un maillon essentiel, les occidentaux ont manœuvré sans succès pour que Touadéra ne succède pas à Paul Biya à la présidence de la CEMAC, nonobstant des dispositions communautaires édictées. Une « forfaiture » que certains chefs d’Etat de la sous-région visiblement téléguidés par Paris ont voulu malheureusement valider n’eut été « la sagesse et la clairvoyance » de Paul Biya.

Après cette décision que certains dans le bloc occidental considère comme un « affront », compte tenu des considérations géostratégiques, le président camerounais ne pouvait pas opter pour « l’escalade » en ouvrant les bras à Wagner. Une telle décision aurait constitué ni plus ni moins qu’une « provocation » pour la France et ses alliés pour multiplier des manouvres visant à déstabiliser l’Afrique centrale. Dans ce contexte, « on peut comprendre la prudence du président Biya d’éviter en toute finesse cette patate chaude que constitue le groupe Wagner dont les ramifications en Afrique centrale et de l’Ouest constituent un pied de nez pour la France dans son pré-carré », confie une source diplomatique. Relation de cause à effet, la RCA vient de se faire recaler au Fonds monétaire international (FMI), susurre-t-on à cause d’un fort lobbying de l’Elysée. C’est dire le courroux de l’ex métropole de voir échapper à son contrôle, un pays où il n’y a pas longtemps, les dirigeants étaient choisis par Paris comme dans la plupart des anciennes colonies françaises d’Afrique.

Selon toute vraisemblance, les autorités camerounaises ont vite compris des désagréments que pourraient causer toute collaboration avec Wagner, raison pour laquelle le matériel de cette force paramilitaire russe ne transite plus par le port de Douala. « Les russes qui l’ont d’ailleurs bien compris ont depuis longtemps établi directement un pont aérien entre Moscou et Bangui » confortant le Cameroun dans sa stratégie de neutralité. Une option qui permet de « maintenir de bonnes relations avec tous ses partenaires et d’éviter l’ouverture d’un autre front alors que le Cameroun n’en a pas besoin, ce pays étant déjà confronté à plusieurs fronts sécuritaires », argumentent certaines sources sécuritaires.

Toujours est-il que le dossier Wagner évacué, Paul Biya s’est dit toutefois favorable pour le renforcement du contingent des soldats camerounais dans le cadre de la Mission multidimensionnelle des Nations unies en Centrafrique (MINUSCA), en même temps le renseignement prévisionnel et le maillage du territoire seront renforcés. Pour le reste, les deux chefs d’Etat ont évoqué plusieurs sujets d’intérêts communs, aussi bien sur le plan bilatéral que sous-régional, avec au centre des préoccupations des dossiers chauds dont une gestion inappropriée pourrait embraser la zone CEMAC.

Au regard des options prises par les pays africains pour diversifier leurs relations de coopération, tout laisse croire que malgré des pressions occidentales, la lutte pour sortir de leur joug est irréversiblement engagée.  

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