Afrique-France : les enjeux de la diplomatie militaire

A priori, les fonctions de diplomate et de militaire sont antinomiques dans leur acception originelle. Pendant que l’un rime souvent avec souplesse et négociation, l’autre véhicule généralement l’image de la rigueur ou de la force. Pourtant, ce sont ces deux fonctions que la France essaie de combiner ensemble pour maintenir son influence dans ses anciennes colonies d’Afrique là où il y a encore quelques années, Paris décidait de tout. Un « pré-carré » qui échappe de plus en plus au contrôle de la « mère-patrie » avec l’émergence de nouvelles puissances et l’arrivée au pouvoir en Afrique de nouveaux dirigeants, soucieux de revisiter cette coopération.
Le tandem diplomatie-militaire peut prendre un autre sens à travers la nomination en 2022 du Général de corps d’armée, Thierry Marchand au poste d’ambassadeur de France au Cameroun. Ancien directeur de la coopération de sécurité et de défense au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, il a entre autres, préalablement assumé les fonctions de commandant supérieur des forces armées en Nouvelle-Calédonie et adjoint au sous-chef d’état-major « Performance et synthèse » de l’état-major de l’Armée de Terre. Pendant que ce galonné fait ses premiers pas de diplomate après la présentation de ses lettres de créances en juin dernier au chef de l’Etat camerounais Paul Biya, dans la foulée, et à compter du 31 juillet 2023, Eric Gerard est le nouvel ambassadeur français auprès de la République du Tchad selon un décret signé le 10 juillet 2023 par Emmanuel Macron, président de la République française. Il s’agit également d’un soldat, plus précisément un « béret rouge », présenté à l’instar de son compagnon d’arme supra comme un « homme de terrain » pour avoir notamment commandé le Groupement d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN) avant le poste de directeur de la sécurité diplomatique au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.
D’après certains analystes, le choix porté sur des militaires pour diriger ces représentations diplomatiques est loin d’être un fait du hasard. Si le Cameroun est la locomotive de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC), son voisin le Tchad et le Niger constituent désormais le porte-étendard des opérations françaises au Sahel, principalement contre le terrorisme. En d’autres termes, le Cameroun et le Tchad sont respectivement deux verrous « économique et sécuritaire » dans la stratégie de la France de rester au centre du jeu politique en Afrique. Les enjeux sont énormes d’autant qu’une mauvaise gestion de « l’alternance est attendue » dans ces deux pays pourrait embraser toute la région.
Changements géostratégiques
Selon toute vraisemblance, Paris aurait compris la nécessité de changer de fusil d’épaule pour rester au centre du jeu géopolitique. Au-delà des quatre bases militaires permanentes que sont Dakar (Sénégal), Abidjan (Côte d’Ivoire), Libreville (Gabon) et Djibouti et de l’existence de quelques autres unités militaires puisque la principale base de l’armée française au Tchad se trouve à Ndjamena, mais aussi le Niger, la présence des militaires à la tête des représentations diplomatiques peut-être considérée comme un signe de temps. En réalité, « la France sait que l’Afrique centrale se trouve à un moment décisif de son histoire avec des alternances inéluctables. Il faudrait être prêt le cas échéant, avec des hommes en capacité opérationnelle si le contexte l’exige », explique un spécialiste des relations internationales. Par ailleurs, « il se trouve que la France a signé des accords de coopération militaire avec toutes ses anciennes colonies d’Afrique, ce qui lui donne une marge de manœuvre si elle est officiellement sollicitée par l’un des Etats », argumente un expert en stratégie militaire. Globalement, ces accords de défense disposent que « dans le respect de leurs engagements internationaux, les Parties s’engagent dans un partenariat de défense, afin de concourir à une paix et une sécurité durables sur leur territoire ainsi que dans leur environnement régional respectifs ». Une phrase qui en dit long, indique-t-on, car elle laisse une marge de manœuvre importante aux Etats, y compris des interventions militaires.
Au demeurant, Paris annonce la réduction des soldats français en Afrique avec la fin de l’opération « Barkhane » au Mali, où plus de 5000 soldats étaient mobilisés. A cela s’ajoutent des cures d’amaigrissement des effectifs à opérer dans ses bases traditionnelles en Côte d’Ivoire, Gabon, Djibouti et Sénégal, ceci après le départ de ses troupes de Centrafrique, du Burkina Faso et du Mali. Traduction, « il n’y aura plus de bases militaires en tant que telles », a affirmé le président français. Une réorientation de la coopération diplomatico-militaire puisque « demain, notre présence s’inscrira au sein de bases, d’écoles, d’académies qui seront cogérées ». Accusées souvent de prendre fait et cause pour des dictatures, les autorités françaises n’ignorent pas la montée en puissance du sentiment anti-français en Afrique. Mais tout laisse croire que l’on évolue dans un cercle vicieux où il est difficile d’en sortir en utilisant les paradigmes actuels. Selon des informations, au-delà de cette présence militaire « moins visible », le choix porté sur des militaires pour diriger certaines représentations diplomatiques dans le pré-carré appelle à plus de « pragmatisme » pour la France dans sa stratégie de demeurer au centre des enjeux géostratégiques en Afrique.
Avec Financial Afrik