Régimes militaires : Au-delà de l’exception camerounaise dans la CEMAC

De toutes les parties du continent, excepté les régimes monarchiques, la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC) est sans doute la région où les régimes politiques sont plus stables. Qu’importe, que cette stabilité soit l’émanation de l’expression populaire des citoyens ou qu’elle soit issue des putschs militaires. Pour revenir aux coups d’état, plus de soixante ans après les indépendances, exception faite du Cameroun, tous les autres pays de la sous-région, en l’occurrence, la Centrafrique, le Congo, le Gabon, la Guinée équatoriale et le Tchad ont régulièrement à leur tête, des régimes militaires ou paramilitaires.
Certes, le Cameroun a connu un épisode sanglant le 06 avril 1984, lorsque des soldats, majoritairement constitués d’éléments de la Garde républicaine, ont fomenté un putsch contre le président Paul Biya. La réaction quasi unanime des autres unités des Forces de défense et de sécurité (FDS) ont fait échec à cette tentative de déstabilisation des institutions, permettant ainsi au Cameroun de conserver un régime civil depuis son accession à la souveraineté internationale le 1er janvier 1960.
Depuis les indépendances, force est de constater que dans les autres pays de la CEMAC, ce sont des militaires qui sont généralement à la tête des Etats. Ce n’est donc pas parce que des soldats ont tronqué le treillis militaire en lieu et place de smoking que l’on doit penser que les pays d’Afrique centrale sont dirigés par des civils. Pour ne prendre que l’exemple des dirigeants actuels, l’on se rendra compte qu’en 2023, seuls deux chefs d’Etat de l’Afrique centrale sont des civils. Il s’agit respectivement de Paul Biya du Cameroun et Faustin Archange Touadera de la Centrafrique. Sauf qu’à la différence du Cameroun, la Centrafrique a longtemps été dirigé par des militaires et des paramilitaires. Avec le Congo et le Tchad, c’est le pays où l’on compte un nombre élevé de coups de prise de pouvoir par des mécanismes anticonstitutionnels.
Autrement dit, en faisant une petite revue, l’on se rendra compte qu’à date, quatre des six pays de la CEMAC sont dirigés par des régimes militaires arrivés au pouvoir par des moyens non conventionnels. Illustration et revue des troupes
– Le Congo est dirigé depuis des décennies par Dénis Sassou Nguesso, un colonel de l’armée congolaise à qui revient la particularité d’avoir réussi deux coups de force ; d’abord en 1999, puis, en 1997, juste après un intermède d’un régime civil de sept ans incarné par Pascal Lissouba. Déjà, avant l’arrivée au pouvoir à Brazzaville de l’ex communiste marxiste-léniniste, ce pays a connu plusieurs coups d’état qui remontent après l’indépendance proclamée en 1960 par l’abbé Fulbert Youlou, un prêtre catholique.
– Le Gabon qui fait la une de l’actualité suite au coup d’état perpétré le 30 août 2023 par le général Brice Clotaire Oligui Nguema a quasiment toujours été dirigé par les militaires et les paramilitaires, en dehors du tout premier président de la République, Léon Mba qui dirigeât le pays de l’indépendance en 1960 jusqu’à sa mort en 1967. Son successeur constitutionnel, alors vice-président Albert Bernard Bongo Ondimba devenu Omar suite à son islamisation en 1973, fut un sous-officier dans l’armée française. Bien que « civil », son fils Alain Bernard Bongo devenu Ali Bongo Ondimba, lui-même a été formé dans les académies militaires au Maroc.
– La Guinée équatoriale ne fait pas exception. Très peu de personnes ne savent peut-être pas que l’actuel président de la République Teodoro Obiang Nguema Mbasogo est un officier supérieur – colonel – de l’armée. Il a pris le pouvoir en 1978 après avoir renversé lors d’un putsch violent, son oncle Francisco Marcias Nguema, le premier président de la République qui proclama l’indépendance du pays en 1968.
– Le Tchad est régulièrement confronté au reversement des institutions par les coups d’état ou par la prise de pouvoir au terme des insurrections armées. Conséquence, militaires et paramilitaires ont monopolisé le pouvoir depuis l’accession de ce pays à la souveraineté internationale en 1960. Très peu de civils à l’instar de François Tombalbaye, le premier président ont dirigé le pays des Toumaï. L’actuel président de la transition, le général Mahamat Déby Itno est lui-même arrivé au pouvoir par « défaut », lui qui a remplacé son père, le colonel Idriss Déby Itno, devenu maréchal du Tchad, tombé au front les armes à la main en 2021 alors qu’il combattait des groupes armés. Il avait conquis le pouvoir au terme d’une insurrection armée.
Comme on peut le constater, la stabilité ou la longévité des régimes en Afrique centrale ne saurait dire qu’ici, on ne connaît pas de coups d’état militaires comme en Afrique de l’Ouest par exemple comme d’aucuns seraient tentés de croire. Evidemment, le caractère démocratique ou autocratique de ces régimes dont la longévité peu apparaitre antinomique à la stabilité pour beaucoup est un autre débat. Il en est du Cameroun par exemple qui n’a connu que deux présidents en six décennies, Ahmadou Ahidjo, de 1960 à 1982, et Paul Biya depuis 1982.
Dans un continent africain en mouvement marqué par le regain des putschs, notamment le « pré-carré » français, le Cameroun réussira-t-il maintenir cette « virginité » lorsque l’actuel chef de l’Etat ne sera plus au pouvoir ? En d’autres termes, le pouvoir civil continuer a-t-il à incarner les institutions républicaines après Paul Biya ? Au-delà des hypocrisies ambiantes ou du politiquement correct que les uns et les autres n’ont eu de cesse de déclamer, tout au moins en publiquement, ce questionnement revêt tout son sens. Encore que tenant compte des incertitudes qui caractérisent le fonctionnement optimal des institutions, la succession du président Paul Biya qu’on le veuille ou non autorise qu’on envisage toutes sortes d’hypothèses. Entre guerre de succession et discours politiciens, doit-on essentiellement se focaliser sur les élections de 2025 ou sur ce qui pourrait se passer avant ? Le Cameroun cessera -t-il d’exister après ? Assurément non.
Naturellement, s’interroger à haute voix n’a nullement pour objectif d’encourager la violation de la Constitution qui prévoit clairement des mécanismes de succession à la tête du pays, y compris en cas de vacances. Mais parce que le contexte sociopolitique endogène et exogène reste volatile et essentiellement imprévisible, il va falloir fatalement qu’au-delà du plan A, qu’on envisage un plan B, et pourquoi pas un plan C ou un plan D. Faut-il le préciser, ce n’est ni un appel à la sédition, ni à l’insurrection. Encore que si la peur des lendemains incertains peut favoriser l’émergence des idées « révolutionnaires », l’on ne devrait jamais se départir d’une réalité, seul l’avenir du Cameroun compte.