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Cameroun-France : Paul Biya a-t-il snobé Emmanuel Macron ?

Le fait est significatif pour ne pas être évoqué. Un émissaire de l’Elysée reçu en audience par le chef de l’Etat camerounais Paul Biya qui ne s’empresse pas devant la presse pour « magnifier » l’excellente coopération entre la France et le Cameroun, il faut certainement tourner et retourner les annales de l’histoire pour trouver pareil cas. Et pourtant, c’est ce qui s’est produit le 08 novembre 2022 sur les hauteurs du Palais d’Etoudi à Yaoundé.

Dépêché illico presto dans la capitale camerounaise, Franck Paris, conseiller Afrique du président français Emmanuel Macron a été longuement reçu par le président Biya. A l’image du sherpa qui n’a pas révélé la teneur du message dont il était porteur, la présidence camerounaise souvent expansive s’est montrée laconique, se limitant à préciser que « rien n’a filtré des entretiens qui ont duré environ deux heures et demie ». Avant de poursuivre dans une envolée philosophique  « mais, on peut penser que cette audience dense a permis au chef de l’Etat et à son hôte de passer en revue les principaux sujets d’actualité dans les deux pays et au plan international, et de prolonger les fructueuses discussions entamées lors de la visite officielle du président Macron au Cameroun au mois de juillet dernier ».

Là, le décor commence à être planté, car officiellement, les deux dirigeants s’étaient engagés à poursuivre « la lutte contre le terrorisme et à renforcer leur collaboration dans plusieurs secteurs » : l’agriculture, les infrastructures, le numérique, l’encadrement de la jeunesse et le soutien au processus de décentralisation au Cameroun. Selon nos informations, Paul Biya et Emmanuel  Macron avaient convenu de continuer les échanges sur « des sujets stratégiques ». Un agenda convenu de commun accord que Paul Biya – décrit comme un « insaisissable »  par Jacques Foccart, longtemps chef de la cellule africaine à l’Elysée – n’aurait  pas respecté malgré les relances de son homologue français.

Sauvegarde des intérêts français et succession au Cameroun

Parmi les sujets les plus sensibles débattus alors loin des oreilles indiscrètes par les deux chefs d’Etat, deux l’emportent largement sur les autres ; d’abord, l’amélioration des investissements français au Cameroun, car les entreprises françaises qui contrôlaient 30 % des parts de marché au Cameroun il y a trois décennies n’en contrôlent que moins de 10 % actuellement distancées par les entreprises chinoises et très concurrencées par des multinationales d’autres pays ; ensuite, la succession à la tête du pays si tant que Paul Biya qui sera âgé de 92 ans lors de la prochaine élection présidentielle en 2025 pourrait ne plus se représenter.

Hasard du calendrier ou pas, il ne faut pas perdre de vue que l’émissaire français est arrivé au Cameroun aux lendemains de la célébration le 6 novembre 2022 des 40 ans de magistrature suprême de Paul Biya. Un anniversaire célébré avec faste par ses partisans du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC, au pouvoir) qui ont à hue et à dia déclaré que « le président Paul Biya est le candidat du parti lors de la prochaine élection présidentielle ». Certes, dans les rangs du parti présidentiel beaucoup rongent leur impatience, mais personne ne voudrait prendre le risque de défier publiquement le chef.  

Selon nos informations, la succession à la tête du pays a été évoquée entre Paul Biya et son hôte. La rencontre entre Franck Paris et Franck Biya, le fils du chef de l’Etat camerounais que d’aucuns prêtent des ambitions présidentielles s’inscrirait dans cette logique. Visiblement, la France ferait feu de tout bois pour jouer un rôle majeur pour la succession au Cameroun. Quid du peuple camerounais ? Au-delà d’un langage diplomatique ampoulé, difficile d’affirmer que Paul Biya et Emmanuel Macron sont sur la même longueur d’onde. Les discussions devraient d’ailleurs se poursuivre dans les prochains jours avec la présentation des lettres de créances du nouvel ambassadeur de France accrédité au Cameroun. Arrivé au Cameroun depuis quelques semaines, le général de corps d’armée Thierry Marchand serait en mission commandée, laisse-t-on filtré dans certaines allées du pouvoir. Pour quelle raison ? On le saura.

Décrit comme « un imprévisible » dans le pré-carré, Paul Biya a selon toute vraisemblance choisi de brouiller les cartes de sa succession. Malgré des dispositions constitutionnelles qui définissent les conditions d’accès à la magistrature suprême en cas de vacance, il n’est pas impossible que les choses se passent autrement dans les démocraties tropicalisées. Du coup, même s’il a toujours montré une  aversion pour le dauphinat, rien n’empêche que le « sphinx » pourrait finalement opter pour un mode de succession que les Camerounais découvriront lorsque les dés seront déjà pipés.    

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