Processus de nomination du gouverneur de la BEAC : Légalité et légitimité respectées
L’argent n’aime pas de bruits dit-on souvent. Ce principe est en train d’être foulé au pied par ce qui est convenu d’appeler les « dérives autoritaires » du Directeur général du contrôle général (DGCG) de la Banque des Etats de l’Afrique centrale (BEAC). Se prévalant de « mes prérogatives exercées en tant que directeur général du contrôle général, garant du strict respect des textes auxquels la banque est assujettie », Blaise Eugène Nsom, a adressé une correspondance le 06 février 2024 aux membres du gouvernement de la BEAC dont la mention en objet, « arrêt des activités de monsieur le gouverneur » a provoqué une controverse au sein de la banque centrale.
Une sortie « maladroite doublée d’une méconnaissance basique du fonctionnement des institutions », estiment certains analystes, puisque ce responsable va jusqu’à denier aux chefs d’Etat de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC) leurs prérogatives en ce sens que le gouverneur de la BEAC est nommé par la conférence des chefs d’Etat sur proposition des autorités de son pays d’origine conformément au principe de rotation de postes adopté depuis une quinzaine d’années.
Evidemment, la réaction du gouverneur de la BEAC Abbas Mahamat Tolli ne s’est pas fait attendre. Dans une correspondance adressée le 7 février 2024 aux membres du gouvernement de la BEAC, le gouverneur en fin de mandat n’ est pas allé du dos de la cuiller pour purement et simplement annuler « des termes de la lettre » du DGCG. Il en profite pour donner une « leçon » de droit à son collègue, soulignant avec force que « la nomination du gouverneur relève exclusivement de la compétence de la conférence des chefs d’État de la CEMAC ». Visiblement en phase avec les texte, Abbas Mahamat Tolli rappelle que « la procédure de passation des charges est clairement établie et sera assurée par le président du comité ministériel de l’UMAC (Union monétaire de l’Afrique centrale) ». Autrement dit, « il n’appartient donc pas au DGCG de créer ses propres normes au sein de la banque centrale. A ce jour, aucun responsable institutionnel de la CEMAC n’a quitté ses fonctions sans que la conférence des chefs d’État n’ait préalablement nommé son remplaçant. Cette règle a d’ailleurs été appliquée pour la nomination des nouveaux membres du gouvernement de la BEAC, y compris celle du DGCG lui-même », a-t-il insité.
Dans ses explications, le gouverneur ne manquera pas de relever le caractère pour le moins « discourtois » de Blaise Eugène Nsom, puisque ce dernier ferait preuve d’une « série de provocations récurrentes depuis un certain temps ». En d’autres termes, « le DGCG dépasse de manière répétitive les limites de ses compétences, et empiète sur les responsabilités réservées au gouverneur et au vice-gouverneur par les statuts de la banque. Ce comportement autoritaire se manifeste par des actes et des initiatives contraires au bon sens, ainsi qu’aux règles d’éthique et de déontologie professionnelle de la banque centrale. Les abus d’autorité et les agissements non professionnels de monsieur Nsom prennent souvent la forme de directives aux services opérationnels, en violation des dispositions de l’article 4.2 de la charte d’audit ». Fort de cela, « il instrumentalise le dispositif de contrôle de la banque centrale à des fins de règlements de comptes personnels ».
Faut-il le préciser, le DGCG avait clairement indiqué dans sa lettre que « le mandat de sept ans non renouvelables de monsieur Abbas Mahamat Tolli, commencé le 6 février 2017, s’achève le 6 février 2024. A cette date, monsieur Abbas Mahamat Tolli n’a plus de mandat et d’habilitation légale à être représentant du pays dont il est originaire au sein du gouvernement de la BEAC. Il y a donc vacance du poste de gouverneur de la BEAC, et ce, dès le 7 février 2024 au matin », a-t-il tranché.
Les faits parlent d’eux-mêmes
Selon toute vraisemblance, la sortie « inopportune » du DGCG a créé une atmosphère délétère au sein du gouvernement de la banque centrale, car à la suite du gouverneur, c’est le vice-gouverneur qui est également sorti de sa réserve pour se désolidariser de son collègue. Dans sa correspondance, Michel Dzombala ne passe pas par quatre chemins pour réfuter la position de Blaise Eugène Nsom, soulignant à grand trait qu’« en conséquence, les dispositions de votre lettre n° 052/DGCG/2024 du 06 février 2024 sont nulle et sans effet ». Entre rappel de principes de droit et de bienséance, le vice-gouverneur affirme qu’en « enfin, je souhaite vivement vous inviter à faire preuve de retenue et de discernement dans vos prises d’initiatives. Depuis votre prise de fonction en qualité de directeur général du contrôle général, vous brillez sous le couvert de l’indépendance de l’audit interne, par un comportement très éloigné des principes du code de déontologie de la direction générale du contrôle général, notamment en ce qui concerne les dispositions de l’article 1.4.4. L’intérêt de la banque centrale n’est pas de s’accommoder des dirigeants dont le comportement n’honore pas son image ». Le moins que l’on puisse dire, c’est le DGCG s’est mis dans une position étroite.
Sur la base des exemples précédents, les responsables à la tête des institutions sous-régionales dont la nomination relève du pouvoir des chefs d’Etat de la CEMAC ont toujours continué d’assumer leurs fonctions en attendant le choix de leurs successeurs. Une récente actualité sur des changements à la tête de la Commission de la CEMAC, de la Banque de développement des Etats de l’Afrique centrale (BDEAC), de la Commission bancaire de l’Afrique centrale (COBAC) ou de la Commission de surveillance du marché financier de l’Afrique centrale (COSUMAF) met clairement à défaut, des arguties du DGCG qui devrait avoir d’autres mobiles pour justifier sa démarche.
En somme, sur la base du choc des arguments et conformément aux normes communément admises dans la désignation des premiers dirigeants des institutions de la sous-région, en attendant la décision des chefs d’Etat de la CEMAC, la légalité et la légitimité du gouvernement de la BEAC ne souffrent de rien.