Travailler ou émigrer ?
Par Achille Mbog Pibasso
Le constat est saisissant, voire accablant. L’un des épineux problèmes auxquels les Camerounais sont confrontés depuis une trentaine d’années est celui de l’emploi. Cette absence de lisibilité et de visibilité amène les jeunes à s’interroger sur leur avenir. La quête du bien-être hante les esprits. Dans ce concert d’interrogations, certains optent pour l’expatriation à tout prix et à tous les prix. L’insertion sociale constitue une gageure pour la jeunesse camerounaise avec un taux de chômage supérieur à 20 ou 30% et le sous-emploi estimé à plus de 60% rapportent certaines études. Le
Gouvernement tente tant bien que mal de minimiser les chiffres, les situant à moins de 10%. Sauf que la réalité est là, implacable. Trouver un emploi reste une équation à plusieurs inconnus.
Nombre d’observateurs pointent d’un doigt accusateur le système éducatif jugé, « inadapté » au regard des transformations sociales. Et pour cause, le système éducatif continue d’être un agrégat de , où même arrivés à l’université, des jeunes diplômés ne répondent pas pour l’essentiel aux profils des entreprises. S’il est vrai que ces dernières ne sauraient absorber tous les chercheurs d’emplois, le contexte actuel milite amplement pour une restructuration profonde de l’école.
Pourtant, « le secteur de l’éducation représente, depuis des années, la plus grande part du budget de l’Etat. C’est dire l’importance que les pouvoirs publics attachent à votre éducation. Au fil des années, et à tous les niveaux de notre système éducatif, de nouvelles infrastructures sont construites, de nouveaux enseignants formés et déployés. Les programmes sont régulièrement révisés, afin d’aller toujours plus loin dans la professionnalisation des enseignements. Notre objectif étant en effet, de parvenir à une meilleure adéquation formation-emploi » faisait observer Paul Biya le 10 février
2024 dans son message à l’occasion de la 58ème édition de la Fête de la Jeunesse.
Pour le Président de la République, « en plus du recrutement chaque année d’un nombre significatif de jeunes dans la Fonction publique, l’Etat multiplie les initiatives visant à stimuler la création d’emplois dans le secteur privé et à encourager l’auto-emploi. Je ne le dirai jamais assez. L’auto-emploi constitue l’une des meilleures voies d’insertion socioprofessionnelle, face à l’impossibilité pour l’Etat et le secteur privé, d’absorber le volume, sans cesse croissant, de jeunes qui arrivent chaque année sur le marché de l’emploi ». Si l’on s’est engouffré sur un chemin sans issu, ayons l’honnêteté et le courage de reconnaître des insuffisances du système de gouvernance en vigueur : corruption, affairisme, favoritisme, mauvaise foi, clientélisme, exclusion, opacité…, tout y passe. Pour survivre, chacun utilise les moyens qui sont les siens. C’est ici que l’émigration a pris des proportions inquiétantes ces dernières années, donnant l’impression que le Cameroun veut se vider de sa jeunesse, de toute sa jeunesse pourtant présentée comme « fer de lance de la nation, l’avenir de notre pays ». Le phénomène est ahurissant, à la limite indescriptible. Pour des millions de jeunes, « le Cameroun n’offre aucune alternative ». S’exiler devient alors leur seule obsession au point de se soucier peu de ce qui pourrait leur arriver. Toutes les options sont alors explorées : affronter la rudesse du désert, défier l’immensité de la mer sur des embarcations de fortune, mentir sur son identité ou sur son statut social pour obtenir un visa, tenter d’être frauduleusement embarqué par avion ou par bateau…
Cette ruée des Camerounais vers d’autres « paradis » a été dénoncée par le Président de la République pour qui, « la volonté croissante d’une frange de notre jeunesse, d’émigrer vers d’autres cieux, est de plus en plus préoccupante. Surtout lorsqu’elle tourne à l’obsession et concerne même des personnes qui ont réussi localement leur insertion sociale ». Pour le chef de l’Etat, « certes, notre pays, comme bien d’autres dans le monde, connaît une conjoncture difficile. Cependant, la solution n’est pas toujours de s’en aller. Partir, oui, mais pas à n’importe quel prix », a-t-il martelé.
S’il n’est point d’Eldorado nulle part, l’on ne saurait cependant nier que des mécanismes de gouvernance appliqués ailleurs produisent des résultats qui font rêver. Un mirage peut-être, mais un saut vers l’inconnu que des « partants » voudraient quel qu’en soit le prix découvrir de leurs propres yeux pour se faire leur propre religion. Autant le dire, les dirigeants devraient comprendre que la gouvernance actuelle a montré ses limites.
Il ne suffit pas seulement de pérorer sur les potentialités du pays, mais faudrait-il encore les exploiter efficacement pour le plein épanouissement de tous. Sans une réponse appropriée aux aspirations légitimes des concitoyens, notamment cette jeunesse « rêveuse » mais ambitieuse, tout discours sans action restera brumeux, accentuant davantage le mal.