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UPC : Chronique inachevée du nationalisme camerounais 

Par Achille MBOG PIBASSO

Ç’aurait pu être un événement important ce 10 avril 2024 au Cameroun, date commémorative de création de l’Union des Populations du Cameroun (UPC). Historiquement, la plus vieille formation politique du pays naquit le 10 avril 1948, c’est-à-dire il y a exactement 76 ans. Le Cameroun était alors un territoire sous tutelle de l’ONU (Organisation des Nations Unies), administré dans sa partie méridionale par la France, tandis que la partie occidentale était sous l’administration britannique.

Faut-il le préciser, cette partition du pays qui remonte en 1916 suite à la défaite de l’Allemagne lors de la première guerre mondiale dont le Cameroun était protectorat depuis 1884 sera entérinée par le Traité de paix de Versailles du 28 juin 1919, retirant à l’Allemagne ses colonies. Justement, l’UPC dont le plan de société repose sur l’élévation du standard de vie des citoyens fera de la réunification des deux Cameroun, son principal cheval de bataille.

Moulés dans la lutte syndicale, ses dirigeants n’attendront pas longtemps pour endosser la cause de l’unification et de l’indépendance. Son principal dirigeant, Ruben Um Nyobè est chargé de porter ce message d’unité et de liberté aux Nations unies. Pour cette formation politique dont militants et sympathisants appellent affectueusement « l’âme immortelle du peuple camerounais », il faut préalablement réunifier les deux parties du Cameroun avant l’indépendance. Une vision sociopolitique qui donne totalement raison aujourd’hui plus qu’hier à ses dirigeants, surtout avec des relents sécessionnistes observés ces dernières années dans la partie anglophone du pays.

L’UPC s’oppose aux forces coloniales

Les forces coloniales qui avaient visiblement un agenda caché sous un prisme machiavélique « diviser pour mieux régner » n’entendront pas de cette oreille. Ils déclareront la guerre aux Nationalistes dans l’optique de perpétuer leur domination. Insatisfaits d’avoir prononcé la suspension de cette formation politique, ils décidèrent sans autre forme de procès de dissoudre l’UPC en 1955. La chasse à l’homme ouverte par le pouvoir colonial contre les dirigeants, militants et sympathisants du parti nationaliste sera féroce et occasionnera la mort de milliers de Camerounais. L’assassinat de Mpodol Ruben Um Nyobè le 13 septembre 1958 constitue sans doute le premier acte majeur pour la désintégration de l’UPC. A en croire des analystes, cette période sombre et sanglante de l’histoire contemporaine du Cameroun fut l’un des premiers génocides en Afrique.

A l’accession de l’indépendance le 1er janvier 1960, quelques formations politiques en bonne intelligence avec la France et la Grande-Bretagne fonctionnent. Mais l’espace politique est hanté, mieux, contrôlé par l’UPC. Bien que suspendue ou dissoute, le parti nationaliste reste le véritable animateur et catalyseur de la vie politique nationale. Une vitalité qui donne l’insomnie au pouvoir d’autant que les dirigeants et militants de l’UPC n’ont jamais accepté « l’indépendance factice octroyée par la France ».

Le président Ahmadou Ahidjo qui doit son ascension politique à la France applique sans ménagement des injonctions de la « mère patrie ». Conséquence, de milliers d’Upécistes sont pourchassés, embastillés, torturés, tués, ou exilés. Les principaux dirigeants ayant pris le flambeau suite au décès de l’ex secrétaire général, Ruben Um Nyobè seront également éliminés. Ainsi, passeront à la trappe, Félix Roland Moumié, Ossendé Afana, Abel Kingué et Ernest Ouandié…Avec l’appui de la France, le pouvoir réussira la décapitation de l’UPC avant d’imposer le parti unique en 1966.

Toutefois, la conscience nationaliste n’est pas pour autant totalement anéantie. De l’extérieur, émergent de jeunes leaders qui continuent d’entretenir la flamme militante, tandis que de l’intérieur, quelques irréductibles, de véritables téméraires continuent le combat, à leurs risques et périls. Sur ces entrefaites, intervient le retour au multipartisme en 1991. L’UPC peut sortir du boisseau et reprendre normalement ses activités, d’autant que pour le président Paul Biya, point n’est besoin de se réfugier sous maquis pour exprimer ses idées…  

La restauration du pluralisme politique suscite un grand engouement au Cameroun. Le pouvoir et l’opposition redoutent l’UPC qui dispose d’un vieux socle électoral. Le régime avance ses pions à pas masqués. L’UPC est infiltrée de l’intérieur. Commencent alors d’interminables combats de chefs. Entre suspensions et contre-suspensions, exclusions et contre-exclusions, le parti nationaliste vole en éclats. A la manœuvre, le pourvoir autorise plusieurs tendances de l’UPC reconnaissables à travers des épithètes. Militants et sympathisants sont désorientés. Le plan de destruction fonctionne à merveille, l’UPC est fractionnée, divisée, déchiquetée… La multiplication des groupuscules finira par avoir raison de la flamme militante jusqu’aux plus irréductibles, convaincus que le combat est perdu d’avance.  

L’UPC entre demi-réussite et demi-échec  

Pour preuve, le 75è anniversaire de « l’âme immortelle du peuple camerounais » se commémore dans l’indifférence. Visiblement, même des tendances rivales et antagonistes n’ont plus la force de se battre. Est-ce pour autant dire que les uns et les autres ont fumé le calumet de la paix ? Evidemment non. A cause des batailles de leadership, le parti n’arrive pas à donner la pleine mesure de son potentiel. Dans l’éparpillement total, l’UPC n’a pas su exploiter le capital de sympathie que les Camerounais éprouvent pour elle comme ce fut le cas au plus fort de sa popularité lorsqu’elle menait contre l’Occident-oppresseur le noble combat pour l’unification et l’indépendance du Cameroun. Pourtant, l’UPC reste le parti de cœur pour des millions de Camerounais.

Avec 320 formations politiques légalisées au Cameroun, l’UPC et ses apparentés représentent au minimum une dizaine de partis. Ceux-ci sont en réalité des vaisseaux du parti présidentiel, le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC, au pouvoir) qui régente la vie politique selon ses intérêts. Lorsqu’on voit la déstructuration actuelle de l’UPC, force est de constater l’absence de leaders charismatiques, capables d’amorcer la refondation du parti pour en faire une machine politique et électorale dont la conquête du pouvoir redeviendrait dans l’ordre des principaux objectifs.

Tout compte fait, le retour au pluralisme politique a apporté des avancées aussi bien sur le plan politique, économique, social que culturel.  Des évolutions ont été notées dans différents domaines pour ce qui est notamment des libertés individuelles et collectives. Malgré des résistances, la démocratie camerounaise se construit et se peaufine même si les citoyens s’identifient de moins en moins aux formations politiques à cause des intérêts partisans. La culture politique est un acquis qu’il faudra consolider. Ce qui laisse présager que les prochains scrutins devraient renforcer cet ancrage à la liberté et à la démocratie.

Ainsi, après avoir été à l’avant-garde de la lutte contre les forces coloniales et inspiré la démocratie camerounaise, après le retour manqué consécutif à la restauration du multipartisme, l’UPC demeurera-t-elle indéfiniment sur cet acte manqué, ou inachevé de la révolution camerounaise, c’est-à-dire « une demi-réussite et un demi-échec » politique au Cameroun ? S’il revient aux vrais militants de « l’âme immortelle du peuple camerounais » d’en répondre, convenons que le combat mené par l’UPC originelle pour la liberté, l’indépendance le développement, la paix, la réunification et l’unité du Cameroun et des Camerounais est à féliciter et mérite respect.

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