Paul Biya : 40 ans de pouvoir d’un Prince républicain
Arrivé à la magistrature suprême le 06 novembre 1982 suite à la démission du président Ahmadou Ahidjo dont il était le « successeur constitutionnel », Paul Biya a réussi contre vents et marrées à se maintenir au pouvoir, confortant sa déclaration selon laquelle « ne dure pas au pouvoir qui veut, mais qui peut ». Au fil du temps le « sphynx » donne l’impression d’être devenu un monarque à la tête d’une République. Evocation.
Par Achille Mbog Pibasso
Passé l’euphorie de l’accession à la magistrature suprême, l’homme du 6 novembre 1982 rattrapé par les réalités du pouvoir, se fait le sourd, le muet, l’aveugle et parfois le mort, mais surprend toujours. Le voilà donc âgé de 89 ans (13 février 1933 – 13 février 2022) et, depuis 40 ans président de tous les Camerounais : du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest, de l’intérieur à l’extérieur. Quatre décennies au pouvoir, mais en réalité 60 ans dans les hautes sphères de la nation, pour avoir été juste après l’indépendance du Cameroun le 1er janvier 1960, ministre et Premier ministre depuis 1975 avant la modification de la Constitution en 1979 qui l’avait consacré « successeur constitutionnel » du président Ahmadou Ahidjo qui a dirigé le pays de 1960 jusqu’à sa démission inattendue le 04 novembre 1982.
Après la prestation de serment le 06 novembre 1982, Paul Biya est devenu le Président de ceux qui, avec leurs tripes et à leur manière, l’ont aimé, adulé, suivi, servi, haï, combattu, dénigré, trahi, dans ses promesses, ses slogans, ses grandes ambitions, ses grandes réalisations, ses grandes opportunités, ses discours, ses silences, ses embardées, ses moments de grâce, ses vicissitudes. Tel un roseau, Paul Biya qui a consacré plus de six décennies au service de son pays a souvent plié sans rompre, déjouant toutes les prévisions et tous les pronostics, d’où le fameux surnom de « sphinx » qui lui colle sur la peau. Candidat à la prêtrise dans les années 1940 formé par les Pères Pallotins d’abord au séminaire Saint Tarcissius d’Edéa, puis au séminaire Saint Joseph d’Akono, celui qu’on prête alors une sympathie avec le parti nationaliste, l’Union des populations du Cameroun (UPC) quitte le Cameroun dans les années 1950 pour les études supérieures en France avant de retourner au pays aux lendemains de l’indépendance en 1960 pour intégrer le gotha administratif et politique qu’il n’a plus jamais quitté jusqu’aujourd’hui. D’abord par les rayons du « soleil » (emblème de l’Union nationale camerounaise, UNC), puis par « la flamme » (emblème du Rassemblement démocratique du peuple camerounais, RDPC), formation politique dont il reste et demeure le président fondateur depuis le 24 mars 1985.
Rigueur et moralisation
Son arrivée au pouvoir est marqué par un discours novateur adossé sur la « rigueur » et la « moralisation » et dont son livre « Pour le libéralisme communautaire » paru dans la foulée contient son programme de société. Mais la gestion du pouvoir se heurte aux réalités du terrain. Les premières fissures apparaissent dans ce qui était le socle des relations entre Ahmadou Ahidjo et Paul Biya, le premier ayant gardé la présidence du parti unique l’UNC, et dont des pirouettes constitutionnelles consacrait la primauté du président du parti sur le président de la République. Un bicéphalisme de fait qui ne pouvait rester longtemps sans conséquence, puisque dès 1983, les nouvelles autorités dénoncent des « tentatives de déstabilisation des institutions », poussant l’ancien chef de l’Etat Ahidjo en exil, avant la tentative du putsch par ses partisans le 6 avril 1984. Ce sanglant événement aura un impact sur la conduite des affaires de l’Etat.
En créant un nouveau parti politique en 1985, Paul Biya matérialise la rupture avec son « illustre prédécesseur » surtout que dans la foulée Ahmadou Ahidjo sera jugé et condamné par contumace avant son décès le 30 novembre 1989, à Dakar, au Sénégal où reposent ses restes. Dès 1987, Paul Biya initie les premières élections pluralistes au sein du parti unique, le RDPC, ce qui fut marqué par la chute de plusieurs barons et l’arrivée des jeunes loups. Entretemps, la conjoncture économique commence à avoir des effets sur les Camerounais. Pour rassurer ses compatriotes, le président de la République déclarera dans un discours à l’assemblée nationale que « le Cameroun n’ira pas au FMI », avant d’être rattrapé par les réalités du terrain qui amèneront le Fonds monétaire international (FMI) à mettre l’économie camerounaise sous ajustement structurel. La suite, on la connait, avec les conséquences désastreuses du Programme d’ajustement structurel (PAS) imposé par Brettons Wood qui continuent d’impacter la vie des Camerounais.
La décennie 1990 est celle qui consacre l’ouverture démocratique avec le retour au multipartisme. Juste après le discours de la Baule (France) où le président François Mitterrand lui aussi sous la pression du Vent d’Est porté par la Pérestroïka, pousse « les dictatures africaines » à lâcher du lest. Dès 1991, les premiers partis politiques sont légalisés, dont l’UPC. La détente politique consacrera l’amnistie de certaines figures politiques : Amadou Ahidjo, Ruben Um Nyobè et différents leaders de l’UPC… Mais c’est aussi le temps des conférences nationales à travers le continent et pour lesquelles Paul Biya déclarera que « la conférence nationale est sans objet pour le Cameroun ». Ainsi fut dit, ainsi fut fait. L’opposition prend le « pouvoir de la rue » à travers l’organisation des « villes mortes », une désobéissance civique qui fera vaciller le pouvoir. C’est dans ces circonstances qu’interviennent les premières élections pluralistes. Paul Biya remporte d’un cheveu la présidentielle de 1992 devant le candidat de la coalition de l’opposition John Fru Ndi, par ailleurs porte-étendard du Social democratic front (SDF). Les législatives qui suivront confirmeront la tendance pour « le changement » puisque l’opposition remportera 92 sièges à l’assemblée nationale contre 88 députés pour le RDPC.
Le panthéon de l’histoire
Alors que les Camerounais s’apprêtent à vivre leur première cohabitation, c’est un coup de tonnerre qui amenuisera leurs espoirs de changement, puisque Paul Biya saura coaliser avec le Mouvement pour de la Défense de la République (MDR) de Daikolé Daissala avec ses 6 députés pour garder la majorité au parlement. En bon routier politique, Paul Biya ne veut pas être à la merci du MRD, raison pour laquelle il étoffera la majorité présidentielle avec les 18 députés de l’UPC, sous la conduite de la tendance dirigée par le secrétaire général Augustin Frédéric Kodock. Les élections qui ont suivi ont permis à Paul Biya de conforter son pouvoir, en y intégrant l’Union nationale pour la démocratie et le progrès (UNDP) de l’ex Premier Bello Bouba Maigari et d’autres formations politiques. Depuis, la présidentielle de 1997, Paul Biya roule en roue libre, sans véritablement de concurrent. Cela l’a-t-il poussé à dormir sur ses lauriers comme affirment ses contradicteurs? Ce n’est pas impossible d’autant que même l’opération d’assainissement des mœurs publiques dénommée « Opération épervier » ayant débouché sur l’embastillement des pontes de la République ne semble pas avoir produit des fruits escomptés.
Entre temps, la nouvelle Constitution de 1996 consacrant « la modernisation des institutions » fait l’objet d’une application progressive avec la création du Sénat, des Régions, du Conseil constitutionnel devant consacrer la décentralisation en lieu et place du fédéralisme souhaité par une frange de Camerounais. Dans cette vision politique divergente, et alors que les Camerounais étaient tourné pour combattre la secte Boko Haram qui sévit dans l’Extrême-nord du pays, d’autres compatriotes ont depuis 2016 transformé les revendications politiques en tentative de partition du pays, d’où les violences depuis lors dans les régions anglophones du Nord-ouest et du Sud-ouest.
A l’approche de la fin de son mandat, Paul Biya qui aura 92 ans lors de la prochaine présidentielle en 1992 ne laisse rien transparaître sur son « avenir » politique. Tenant compte de son grand âge, sera-t-il candidat pour un énième mandat ou s’effacera-t-il pour laisser la place à quelqu’un d’autre ? Paul Biya qui s’est toujours montré contre le dauphinat a-t-il changé d’avis ? Dans le camp présidentiel, ce ne sont pas des ambitions qui manquent, tout au moins en sourdine, car personne n’ose publiquement défier « le patron ». C’est donc ce Cameroun qui s’interroge sur son avenir qui se souvient des 40 ans de pouvoir de Paul Biya. Face aux difficultés socioéconomiques, de nombreux Camerounais ont le sentiment d’être abandonné par le pouvoir. L’inflation galopante et la privatisation du service public confortent cette thèse. Les incertitudes actuelles amènent à s’interroger de quoi demain sera fait.
Paul Biya qui voudrait que les Camerounais gardent de lui le souvenir de « l’homme qui a apporté la démocratie et le progrès » est-il en train d’atteindre cet objectif ? Sous quel prisme entrera-t-il dans le panthéon de l’histoire ? Il reviendra justement à l’histoire d’en juger.